posté le 10-04-2009 à 12:19:37
Texte de Raymond AUDEMARD, illustré librement par... moi. Source d'origine: galgosfrance.net
Le Pianiste
C'était un bout de terrain
presque plat, une saignée dans la forêt, les hommes étaient là, en
groupe. Ils fumaient des cigarettes malodorantes qu'ils roulaient tout en plaisantant.
Nous,
les galgos, on était au pied. Les oreilles agitées, attirées par les
mille bruits de la forêt. Un peu excités aussi, par l'odeur du lapin
qui était là, à quelques pas, dans la cage grillagée. On sentait sa
peur. Elle nous attirait, comme un aimant.
Les
hommes se sont mis en rang, chacun avec un galgo serré entre leurs
cuisses, les colliers de corde ou de fil de fer étaient solidement
tenus. Le mien entrait douloureusement dans la peau de mon cou.
Puis,
ils ont ouvert la cage. Affolé, il a surgi à la vitesse de l'éclair. Au
signal, les galgueros ont lâché les colliers. J'ai ressenti une vive
douleur à la queue. Pour me faire " démarrer " plus vite, mon maître
l'a entaillée avec son couteau.
Comme mes frères de course, je porte
des dizaines de stigmates de ces coupures. Cela ne me fait pas courir
plus vite, mais mon maître ne semble pas s'en rendre compte.
Alors,
j'ai couru. Couru de toutes mes forces, couru de tout mon être. Je
voulais l'attraper cette petite boule de fourrure beige qui s'agitait
frénétiquement devant nous, changeant sans cesse de trajectoire pour
nous tromper. Le sang battait à mes tempes et je sentais l'air
s'engouffrer dans ma large poitrine après les premières secondes où
j'avais retenu mon souffle.
Mais
je suis un coursier. Un chasseur est un coursier, et je ne le quittais
pas du regard. Je percevais son affolement. Les hommes criaient, tapaient dans les mains, criant les noms des chiens qui couraient pour eux. J'étais presque sur lui,
je recevais de minces giclées de poussière soulevées par ses pattes.
Et puis, il y a eu cette motte de terre qui a cédé sous ma patte, j'ai perdu l'équilibre un instant
,
ma
is je ne suis pas tombé.
Blas, un grand galgo noir en a profité, il m'a devancé et a attrapé le
lapin. Il l'a secoué dans sa gueule, en sautant en l'air de plaisir. Je
me suis approché, mais il a grogné. Il était le vainqueur.
Les hommes sont arrivés en courant, ils ont retiré son trophée à Blas. Il a aboyé. Il
a reçu un coup de fouet.
Mon
maître était furieux, je l'ai vu donner des morceaux de papiers au
maître de Blas. Il m'a attrapé par le collier, méchamment et a serré.
J'ai gémi. Il m'a donné des coups de poings et des coups de pied.
Ce
n'était pas ma faute, je ne l'avais pas vu cette motte de terre, et
puis, le plus important c'était bien que le lapin qui s'était échappé
ait été rattrapé. Même par Blas !
Enrevenant vers les voitures, j'ai aperçu Libra.
Elle se traînait sur trois pattes. E
lle était tombée. L'os
sortait de sa patte arrière droite, juste au-dessus de la cheville. Son
propriétaire, un gros chasseur du coin l'a insultée, puis il l'a rouée
de coups de pieds.
Chaque fois que les coups
atteignaient sa patte brisée elle hurlait. Il riait et il tapait encore
plus fort. Puis il a donnée un coup de talon sur son dos.
Elle n'a plus bougé.
Plus gémi.
Mais j'ai vu ses yeux.
Elle était encore vivante.
Ils l'ont laissée là.
Il
y avait de la bière, les hommes ont bu en plaisantant. Le soleil
commençait à chauffer. Mon maître m'a attaché au bout d'une corde et il
m'a entraîné vers la voiture. Je suis monté à l'arrière, aidé d'un bon
coup de pied dans les reins.
Tout
en conduisant, très vite malgré l'état de la route, il n'a pas arrêté
de hurler après moi. De m'insulter. De temps en temps il se retournait
et me frappait avec un bâton qu'il a toujours avec lui.
Arrivé
à la ferme, il m'a attaché. Très court. Je ne pouvais pas atteindre la
vieille bassine pleine d'eau sale dans laquelle je bois habituellement.
Il est rentré. Je l'ai entendu hurler encore.
Puis
il est sorti, avec un fouet et il a commencé à me frapper. Je ne
pouvais pas m'enfuir, tout au plus me rouler en boule. Le fil de fer
m'étranglait et je suffoquais tandis que les coups pleuvaient sur mon
dos, sur mes flancs.
Au
bout d'un moment il s'est calmé. Il est rentré. Le soleil cuisait mes
plaies, les mouches seposaient sur moi, mais je n'avais même plus la
force de les chasser.
Nina, une petite galga est venue lécher
mes plaies. Je n'ai pas réagi. Cela apaisait un peu la brûlure. Mais
elle ne pouvait rien faire pour ma gorge serrée et desséchée par la
soif.
Nina
est là depuis longtemps, elle fait souvent des petits. Ils partent très
vite. Elle est vieille maintenant, elle est très maigre. Elle est là
depuis au moins cinq saisons de chasse.
La
journée a été longue. Le maître est parti à la chasse, avec Nina. Au
soir il est revenu. Seul. Je ne disais rien, je ne faisais aucun
mouvement, comme si j'avais voulu me confondre avec le sol.
Mais il est revenu vers moi. Il m'a craché dessus et donné un coup de sa botte ferrée.
Toute
la nuit, j'ai grelotté, de froid, de fièvre, de douleur. Les
tiraillements de ma peau déchirée rendaient chaque mouvement
douloureux. Même respirer devenait un calvaire.
Au matin, il est
venu vers moi, il avait une longue corde. Il m'a détachée, a passé la
corde dans le fil de fer qui me sert de collier et il m'a traîné. Je
pouvais à peine me tenir debout.
Il
m'a attrapé par le cou et par une patte et m'a jeté dans la voiture.
J'ai hurlé. Il a ri. J'avais mal. Mais son rire m'a rassuré. En
général, quand il rit, il ne frappe pas trop longtemps. Ou moins fort.
Il a pris un chemin de montagne, un de ceux que nous prenons quand il m'emmène chasser.
Mais
jamais je n'aurai la force de chasser. Je ne peux même pas me remettre
debout dans la voiture. J'ai glissé entre les sièges, sur le plancher
et je ressens tous les cahots de la route empierrée.
Il
fait beau. Au loin j'entends des oiseaux chanter. Une abeille est venue
se poser sur ma truffe. Je ne pouvais même pas la chasser. Elle s'est
envolée.
Il
doit y avoir pleins de lapins par ici. Je sens l'odeur de leurs
crottes. Il arrête la voiture. Il sort et fume une cigarette. Par la
fenêtre j'aperçois la fumée bleutée qui s'élève, mais je ne le vois
pas, ma tête posée sur le plancher de la voiture.
J'entends
sa botte qui racle le sol. Il écrase sa cigarette. Il fait toujours
cela. Il ouvre sa porte et se saisit de la corde et il tire d'un coup
sec.
La
douleur est fulgurante. Mon souffle est coupé. Il empoigne sans
ménagement la peau de mon dos, comme le faisait ma mère lorsque j'étais
chiot. Mais il me fait mal. Je ne suis plus un chiot.
Il
me jette part terre et il me traîne en me tenant par les pattes. Ma
langue sort de ma bouche, je n'ai plus de salive et la douleur de ma
gorge est comme un fer rouge.
Il
s'arrête enfin. Je sens alors les cailloux coupants du chemin qui ont
ravivé mes plaies. Il me regarde. Me donne un coup de pied dans la
mâchoire.
Puis
il saisit le bout libre de la corde et il le lance dans un arbre, en
travers d'une branche. Je ne comprends pas ce qu'il veut faire.
Puis il se met à tirer. J'essaie de bouger, de me mettre sur mes pattes, mais je suis trop faible et je retombe, sans force.
Il tire toujours, je sens ma tête qui s'élève, la pression sur ma gorge est horrible. J'essaie d'aboyer mais je ne peux pas.
Il tire encore, mes pattes de devant quittent le sol, je sens mes vertèbres tendues à se rompre. Ma tête est rejetée en arrière.
Et
j'aperçois Nina. Elle est là. A quelques mètres. Son corps noir et
blanc tournoie à un mètre du sol. Sa langue sort entre ses lèvres et
des babines retroussées lui font un rictus menaçant, elle qui n'a
jamais résisté.
Mes pattes arrière touchent le sol. La souffrance est de plus en plus horrible.
Mes antérieurs griffent désespérément l'air, je me débats, en vain. Mes cuisses sont tendues.Je veux vivre !
Je sens la tétanie qui les gagne, mes muscles tremblent.
Le maître a allumé une cigarette. Il regarde. Il parle. Il me demande quel air je suis en train de lui jouer sur mon piano.
Je ne comprends pas. L'air passe de plus en plus difficilement dans ma gorge. Une de mes pattes arrière vient de céder.
La pression se fait encore plus forte sur mon cou.
Je sens l'odeur des arbres, de la sève.
Mais aussi l'odeur de l'homme, sueur, alcool, tabac et essence.
Une odeur que j'ai appris à craindre.
Il rit.
Ma vision s'obscurcit.
L'air ne passe plus.
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là.
Les oiseaux qui s'étaient tus se sont remis à chanter.
Le soleil est haut dans le ciel.
Je sens sa chaleur. Mais je ne le vois plus.
Je n'en peux plus.
Trop mal.
Raymond AUDEMARD © LED 2006
Pour
bien comprendre le titre de ce texte, il faut savoir que lorsqu'un
galguero pend son chien, s'il a bien chassé ou bien couru, il s'arrange
pour que sa mort soit rapide.
Si, au contraire, le chien a mal
chassé ou l'a déshonoré en perdant une course, il doit souffrir le plus
longtemps possible. Le chien, pendu avec les postérieurs touchant le
sol, pourra mettre des heures à agoniser. Ses antérieurs qui s'agitent
évoquent, pour les galgueros, les mouvements d'un pianiste sur son
clavier. Ils utilisent aussi le terme de " Dactylo ".
Ces gens ont décidément beaucoup d'humour…
Commentaires
Je vous remercie pour eux.
Pour les aider, une foule de choses sont possibles, faites un tour dans actions/pétitions, et si vous vous sentez l'âme d'une guerrière... contactez-moi!
Bonjour,
Je viens sur votre site pour la première fois grâce (ou plutôt à cause d'une pétition contre la violence faite à ces pauvres toutous)...
J'ai lu ce premier texte mais c'est trop dur... Je pleure à ne pas pouvoir m'arrêter... Ca me révolte, ca me met hors de moi...
Si je peux vous aider à quoi que ce soit, n'hésitez pas à me contacter...
Continuons cette guerre contre toute cette violence gratuite ensemble...
Mimi
Je pleure.
Je pleure de souffrance.
De souffrance pour eux.
C'est horrible...
Bonjour, c'est absolument horrible !!!!!! Je ne savais pas qu'il se passait de telles choses !!!!
J'en suis estomaquée, retournée, choquée !!!!!